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Photographie et droit d’auteur : étendue et limites de la protection
Parfois houleuses, les relations entre le droit d’auteur et la photographie se sont depuis longtemps assagies.
Après une période de difficulté à appréhender la création photographique, la propriété artistique, bonne fille, a ouvert grand les bras aux photographes.
Une récente décision de la Cour d’Appel de Versailles (*) vient cependant de rappeler les limites de la protection des photographes, notamment dans le domaine des photos destinées à la publicité.
Pour mieux en comprendre la portée, un petit rappel des conditions de protection des photographies n’est probablement pas superflu…
Du flou artistique …
Les relations entre la Propriété Littéraire et Artistique (PLA) et la photographie ont en effet été longtemps celles d’un malentendu.
Dès sa naissance dans la première moitié du XIXème siècle, l’invention photographique (qui était pourtant un objet artistique nouveau difficilement classable) est bien accueillie par le droit, qui appréhende les photographies comme des créations proches de la peinture (on pense bien évidemment aux daguerréotypes, et surtout à Nadar, qui fait œuvre de véritable portraitiste).
Suivra une période d’errements jurisprudentiels, distinguant de manière hasardeuse entre les photographies dignes de protection, en raison notamment de leur sujet (les photographies dites « artistiques ») et celles jugées plus triviales, réalisées par des amateurs (photos de famille, photos de vacances…).
… vers une définition de critères de protection
Fort heureusement, Thémis a fini par mettre bon ordre dans cet arbitraire, en renonçant à laisser au seul « bon goût » des magistrats le soin de décider quelles photographies seraient désormais protégées par le droit d’auteur.
Le droit français comme le droit communautaire confirment aujourd’hui sans la moindre ambiguïté que les créations photographiques peuvent bénéficier de la protection du droit d’auteur, sous condition que les photographies présentent un caractère d’originalité, critère que la jurisprudence explicite comme étant des « créations intellectuelles propres à leur auteur » ou encore comme « portant l'empreinte de la personnalité de l'auteur ».
Dans la pratique, les tribunaux sont ainsi conduits à examiner la part de libre arbitre, de « touche personnelle » apportée par le photographe dans les différentes étapes de la réalisation de la photo (préparation de la prise de vue, choix techniques, temps d’exposition, lumière, choix et mise en place du sujet, tirage ou retouches, etc …).
Une approche souvent libérale des tribunaux …
On a donc pu régulièrement observer nombre de décisions de justice favorables aux photographes dans les contentieux les opposant à leurs commanditaires ou à des contrefacteurs, le critère d’originalité étant apprécié de manière large, s’agissant en particulier des sujets traités.
C’est ainsi qu’ont été jugées protégeables des photographies de rosiers (Cour d’Appel d’Aix en Provence, 21 Février 2019), de chevaux (Cour d’Appel de Paris, 15 Février 2019), de mobilier, de catalogues …
… un rappel des limites de la protection des photographies par le droit d’auteur
Le récent arrêt de la Cour d’Appel de Versailles vient cependant rappeler que l’originalité de la création est une condition essentielle, sans laquelle le photographe ne peut prétendre à des droits d’auteur.
Le litige soumis aux magistrats concernait une série de photos, commandées par la société Hennessy, et portant sur le packaging de bouteilles de cognac. Le photographe, estimant que ses droits n’étaient pas respectés, avait attaqué la société Hennesy en contrefaçon de ses droits d’auteur.
A son grand dam, les juges de la Cour d’Appel de Versailles décident que les photographies en question sont dépourvues d’originalité, expliquant que (les ) « photographies commandées avaient pour objet le packaging des bouteilles d'un alcool noble qu'est le cognac ; (qu') aucune fantaisie ne pouvait être de mise dans ce type de photographie qui avait vocation à s'incorporer dans un cadre précis, un emballage aux dimensions formatées, ne laissant pas véritablement de place à une innovation quelconque en matière de cadrage, ou de mise en scène ».
Le simple savoir-faire technique ne suffit pas à justifier l’existence d’un droit d’auteur …
A la lecture de l’arrêt de la Cour d’Appel de Versailles, on pourrait penser que, du seul fait qu’il s’agit de photographies de packaging, toute originalité serait exclue par principe.
En réalité, le contexte particulier de la réalisation des photographies du packaging explique et justifie la décision de la Cour d’Appel de Versailles :
« le travail sur le cadrage, sur l’éclairage, la prise de vue et le travail de retouche auxquels le photographie dit s’être livré ensuite, après les prises de vue, suivant de longues heures, ne font que manifester son habileté et son savoir-faire technique mais ne démontrent pas le choix d’un parti pris esthétique ou ne manifestent pas un travail créatif original, la seule recherche d’un rendu le plus réaliste possible de l’objet, laissant imaginer que celui qui regarde l’emballage peut selon les termes du photographe, "empoigner la bouteille directement" ».
Au-delà des circonstances particulières de ce litige, quel sens donner à cette décision de justice, et quelle leçon devraient en tirer les annonceurs comme les photographes ?
L’intérêt principal de cette décision est de bien souligner que, à défaut d’un parti-pris esthétique marquant l’empreinte personnelle du photographe, le simple savoir-faire technique est insuffisant pour justifier un droit d’auteur.
Sont concernés au premier chef tous les photographes qui exercent leur art dans le cadre de contrats de commande, pour des missions aussi variées que la réalisation de catalogues, de prises de vues d’avions, d’automobiles, dans le domaine de la mode, du design…
S’ils veulent faire valoir leurs droits d’auteur, les photographes ne devront pas hésiter d’imposer à leurs clients leurs choix esthétiques, dans les diverses étapes conduisant à la réalisation de leurs photographies.
Finalement, comme en beaucoup de choses, la question est de savoir pour quelle raison l’annonceur à recours à leurs services :
- Est-ce en tant que maitres d’une technique au service d’un projet déjà élaboré et dans lequel il n’y aura pas véritablement place à création de leur part, ce qui exclut de fait de possibles prétentions en matière de droit d’auteur ;
- ou bien leur concours est-il recherché, au-delà de cette technicité maitrisée, en raison de l’usage de celle-ci au service de leur art créatif, les éloignant ainsi de la catégorie des « simples faiseurs » pour passer dans celle des « créateurs » ?
Parce qu’en droit, s’en remettre à l’autofocus est sacrément hasardeux, il est hautement recommandé, afin d’obtenir un angle de vue clair pour tous et sans artefact, de procéder à une mise au point avec l’ensemble des protagonistes.
Et pour ce faire, un contrat en bonne et due forme, a précisément pour but d’éliminer les arrières plans néfastes pour se concentrer sur l’objectif défini ensemble.