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Marque tridimensionnelle : hors-piste pour les MOON BOOT !

Newsletter Mars 2022

Inspirées des chaussures de Neil Amstrong ayant foulé la lune en 1969, les célèbres MOON BOOT échouent au délicat test du caractère distinctif des marques tridimensionnelles constituées par la forme d’un produit. 

L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne (TUE) du 19 janvier 2022 (affaire T-483/20), a rejeté le recours formé par la société Tecnica Group SpA contre la décision de la première chambre de recours de l’EUIPO du 18 mai 2020 (affaire R 1093/2019-1) qui confirmait l’annulation de la marque tridimensionnelle pour les produits de la classe 25 (chaussures) pour défaut de caractère distinctif.

Marque tridimensionnelle

Marque de l’Union Européenne n°010168441

Antécédents du litige

La société allemande Zeitneu GmbH a initié en 2014 une procédure devant le tribunal de Venise afin d’obtenir une constatation de non-contrefaçon relative à la marque tridimensionnelle constituée par la forme d’une MOON BOOT. Celle-ci fût déboutée de sa demande au motif qu’il existait un risque de confusion entre la marque contestée et ses propres collections de chaussures. La Cour d’appel de Venise confirma le jugement dans son arrêt du 7 mars 2019 plaçant l’entité germanique dans une position juridique délicate.

Se doutant probablement de ce résultat et tentant donc de s’en prémunir, la société Zeitneu avait parallèlement introduit devant l’EUIPO une demande en nullité de la marque de la société Tecnica. 

En effet, quelle meilleure sécurisation de sa production, qu’une invalidation du titre se dressant comme obstacle juridique à une commercialisation légitime.

Or précisément, par décision du 28 mars 2019, la division d’annulation a partiellement fait droit à cette demande pour les produits relevant de la classe 25. Le 18 mai 2020, la chambre des recours a rejeté le recours de la société Tecnica contre cette décision et confirmé l’absence de caractère distinctif de la marque contestée.

Tecnica forma alors un nouveau recours devant le Tribunal de l’Union Européenne pour tenter de conserver ses droits de marque sur le célèbre après-ski, en vain comme l’illustre l’analyse de cet arrêt.

I. Caractère distinctif intrinsèque des marques tridimensionnelles : une démonstration toujours délicate

Nous nous interrogions en septembre dernier sur un possible assouplissement des conditions de protection des marques tridimensionnelles au regard de la décision rendue par le Tribunal de l’Union Européenne dans l’affaire du rouge à lèvres Guerlain1

La présente décision nous rappelle pourtant à la réalité : le test de la divergence significative de la norme ou des habitudes du secteur concerné reste délicat pour les marques constituées par la forme d’un produit, même quand celui-ci est iconique. 

L’arrêt du Tribunal rappelle avec constance que les critères d’appréciation du caractère distinctif des marques tridimensionnelles constituées par l’apparence du produit lui-même ne sont pas différents de ceux applicables aux autres catégories de marques (§85).

Il énonce néanmoins qu’« il convient de tenir compte, dans l’application de ces critères, du fait que la perception du consommateur moyen n’est pas nécessairement la même dans le cas d’une marque tridimensionnelle, constituée par l’apparence du produit lui-même, que dans le cas d’une marque verbale ou figurative » (§86). 

Il faut ici comprendre qu’il sera plus difficile d’établir le caractère distinctif d’une marque tridimensionnelle en raison du fait que les consommateurs moyens n’ont pas pour habitude de présumer l’origine des produits en se fondant sur leur forme (ou leur emballage).

Afin de démontrer le caractère distinctif d’une marque tridimensionnelle constituée par la forme d’un produit, il convient donc de prouver que l’impression d’ensemble conférée par cette marque diverge des normes ou des habitudes du secteur. 

La décision du 19 janvier 2022 rappelle également que, aux fins de conclure à l’absence de caractère distinctif, il n’est pas nécessaire de démontrer : 

  • Qu’il existe d’autres produits sur le marché reprenant l’ensemble des caractéristiques de la marque contestée (§95) ;
  • Que les consommateurs ont été exposés à un usage répandu des signes comportant l’ensemble des éléments ou qu’ils y soient habitués (§96). 

Cela signifie, selon le Tribunal, qu’une marque se présentant comme une simple variante du produit habituellement disponible sur le marché, échoue au test de la divergence significative des formes habituelles du secteur.

L’arrêt comporte une précision inquiétante sur ce point puisqu’il évoque les « variantes possibles », et non seulement les variantes habituelles du produit (§101). A ce rythme, toutes les variantes sont possibles, même les plus inhabituelles : le caractère distinctif intrinsèque des marques tridimensionnelles constituées par la forme d’un produit devient alors quasi-inaccessible. 

Dans l’affaire Guerlain, le Tribunal indiquait pourtant que « le fait qu’un secteur se caractérise par une importante variété de formes de produits n’implique pas qu’une éventuelle nouvelle forme sera nécessairement perçue comme l’une d’elles » (14/07/2021, EUIPO/Guerlain, T-488/20, point 50).

L’on attend avec impatience les futures précisions jurisprudentielles de cette notion de variante.

Dans la présente affaire MOON BOOT, le Tribunal a considéré qu’il était notoire que « globalement, la forme de la marque contestée correspond à la forme commune des bottes après-ski, lesquelles sont généralement constituées d’une tige haute, souvent dans un matériau synthétique et léger, avec des semelles et des lacets » (§98). 

Pour ce qui est des caractéristiques identifiées par la requérante (position des lacets, bandes parallèles sur la tige, hauteur de la tige), le Tribunal a considéré qu’elles constituaient des détails décoratifs ou techniques sans incidence sur l’apparence global du produit : il s’agit de simples variantes de l’apparence d’une botte d’après-ski. 
La marque contestée n’est donc pas distinctive pour les produits suivants : « Chaussures, semelles, premières, talonnettes pour chaussures, empeignes ». 

II. Caractère distinctif acquis par l’usage des marques tridimensionnelles : une demande expresse et une preuve exigeante

Dans le cadre de la procédure en nullité engagée contre sa marque tridimensionnelle, la société Tecnica a fait valoir que celle-ci jouissait d’une large notoriété et d’une renommée importante. 

Elle a néanmoins omis d’invoquer expressément l’acquisition par sa marque du caractère distinctif par l’usage (Articles 7 paragraphe 3 et 52 paragraphe 2 du règlement n°207/2009). 

Cette omission est immédiatement sanctionnée par le Tribunal qui a considéré que les éléments fournis par la requérante tendant à établir la réputation de la marque en cause ne permettaient pas d’établir que celle-ci avait valablement invoqué l’acquisition de la distinctivité par l’usage (§27).

L’acquisition du caractère distinctif par l’usage doit en effet être invoquée expressément par les titulaires de marques qui entendent faire valoir ce moyen de défense. 

Du reste, cet arrêt est l’occasion pour le Tribunal de rappeler que l’examen du caractère distinctif acquis par l’usage se distingue de l’examen de la renommée d’une marque du point de vue territorial.

Le caractère unitaire des marques de l’Union Européenne implique en effet, pour l’acquisition du caractère distinctif par l’usage, qu’il soit établi dans l’ensemble du territoire de l’Union et non seulement dans une partie substantielle ou la majorité de l’Union (§29). (Voir, en ce sens, arrêt du 25 juillet 2018, Société des produits Nestlé e.a./Mondelez UK Holdings & Services, C‑84/17 P, C‑85/17 P et C‑95/17 P, EU:C:2018:596, points 76 et 78 et jurisprudence citée).

La preuve de l’acquisition du caractère distinctif par l’usage sera donc plus délicate à rapporter pour le titulaire de droit que celle de la renommée de sa marque. 

Ainsi, aussi renommées que soient les MOON BOOT, leur caractère distinctif n’a pas été reconnu par le Tribunal, que ce soit intrinsèquement ou en raison de l’usage qui a été fait de la marque les représentant.

Conclusion

La décision Guerlain avait fait naître l’espoir d’un assouplissement de la jurisprudence en matière de marques tridimensionnelles.

Celui-ci n’est peut-être pas illusoire s’agissant des produits à l’aspect esthétique comme le rouge à lèvre de Guerlain. 

Néanmoins, avec la présente affaire, le Tribunal n’apparait pas enclin à relâcher sa sévérité à l’égard de cette catégorie de marques : il semble aujourd’hui suffire d’une « variante possible » d’un produit pour écarter le caractère distinctif d’une marque constituée par l’apparence de celui-ci.

L’argument de l’acquisition du caractère distinctif par l’usage aurait peut-être amené une tout autre décision dans ce cas d’espèce. 

Il est donc primordial d’être accompagné de spécialistes pour la protection de la forme ou du conditionnement de vos produits par le biais de la marque tridimensionnelle, ainsi que pour la défense de vos droits sur de telles marques

L'équipe Plasseraud IP Marques & Modèles est en mesure de vous accompagne dans ces démarches.


1 Feu vert pour le rouge de Gerlain ! Un nouvel éclat pour les marques tridimensionnelles - Emilie Artuphel

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